LES CLASSIQUES FRANÇAIS DU MOYEN AGE publiés sous la direction de mario roques LE GARÇON ET L'AVEUGLE JEU DU XIII« SIÈCLE EDITE PAR MARIO ROQUES DEUXIEME EDITION REVUE PARIS LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION, ÉDITEUR 5, dUAI MALAQUAIS (Vl*) 1921 N° Li CLASSIQUES FRANÇAIS DU MOYEN AGE publiés sous la direction de mario roques E GARÇON ET L'AVEUGLE JEU DU XIII^ SIÈCLE EDIIE PAR MA.RIO ROQUES DEUXIEME EDITION REVUE PARIS AIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION, ÉDITEUR ;. QLAI MALAQUAIS (vi') I92r kitt 30 INTRODUCTION Le Garçon et V Aveugle met en scène les mauvais tours joués à un aveugle mendiant, d'ailleurs peu digne de pitié, par le valet loué pour le conduire. Cette petite composition a été appréciée diversement, parfois avec sévérité. L'on y trouve, il est vrai, quel- ques vers d'une grossièreté fâcheuse ; mais l'invention est comique, le dialogue ne manque ni de gaîté, ni de naturel, les personnages sont assez nettement dessinés, la versification est adroite. A défaut de ces mérites, Le Garçon et V Aveugle resterait inté- ressant : antérieur de près de deus siècles à Maître Pierre Pathelïn, il est la plus ancienne de nos farces ; il nous présente pour la pre- mière fois ce couple de l'aveugle et de son valet qui reparaîtra jus- qu'au xvie siècle dans les farces, mystères ou moralités, qui four- nira à l'auteur de La^arille de Tormes un de ses meilleurs chapitres, et dont un trait comique ira jusqu'aus Fourberies de Scapin (III, 2 : le maître battu par le valet qu'il ne peut voir et qui parle d'une voix contrefaite). Nous ignorons quel est l'auteur de la pièce. Elle a été sans doute composée à Tournai : cette ville est désignée au v. 30 comme le lieu delà scène ; les localités mentionnées aus v. 190 et 191 pourraient être identifiées avec deus communes voisines de Tournai ; ces indications sont d'accord avec celles que fournissent les noms des saints invoqués par le garçon (v. 33 et 99) et les particularités dialectales du texte. La pièce est de la seconde moitié du xiiie siècle : elle est con- servée dans un manuscrit de cette époque, et d'autre part elle n'est pas antérieure à 1266. C'est le 6 janvier 1266 que Charles d'Anjou, IV DATE frère de Louis IX, reçut le titre de « roi de Sicile » mentionné danî la curieuse chanson ^ que chante l'aveugle pour attirer les aumônes {v. 83). Ce prince dut « remander chevalerie » (v. 88) en France surtout à deus moments. En 1265-6, pour conquérir son royaume ; c'est l'époque où Rutebeuf s'efforce d'exciter l'enthousiasme poui l'expédition de Fouille par des 'pièces qui ne sont pas sans analogie avec notre chanson d'aveugle (Di\ et Chansons de Puille), et nou; savons que de nombreus chevaliers de Flandre et de la régior même de Tournai vinrent alors se joindre à Charles d'Anjou (cf Gilles li Muisis dans Chroniques belges, II, 155 sq.) ; en 1282, aprè; les Vêpres siciliennes : à ce moment de forts contingents d'homme; d'armes français furent encore amenés à Charles 1er par diver: seigneurs et par son fils, le prince de Salerne. Le second couple de l'aveugle parle de ceus qui servent « le fiU le roi » (v. 63) ; s cette expression ambiguë désignait le prince de Salerne, l'on serai porté à rattacher la chanson à la campagne de 1282 ; mais si or rappliquait à Charles 1er lui-même (cf. l'insistance de Rutebeuf Dii, V. 10, et surtout d'Adam de la Halle, Du roi de Seiiîe, v. 8z sq., sur la naissance royale de Charles), la date de 1266 pourrai paraître plus vraisemblable. Il n'est pas certain d'ailleurs que L chanson se rapporte à une levée de troupes exceptionnelle : ell( peut s'expliquer par le besoin permanent où dut être Charles 1er et son fils après lui^ d'enrôler en France de nouveaus soldats Quelle que soit la date de la chanson, le jeu où elle est insérée peu être sensiblement plus récent et l'auteur a pu même chercher ui effet comique en faisant chanter à ses personnages une chansoi déjà démodée. Gaston Paris a placé le Garçon et V Aveugle aus environs de 127; I. La chanson est d'un type assez répandu, du moins pour l'entrelace ment des rimes. \. a h a h h c c h. IL d bd b b e h. IIL fbfbha' a' b. Mais nous n'avons pas d'autre exemple de ce type avec l'alternanc des vers de 6 et de 8 syllabes que présente cette chanson, les vers b étan de 6 et tous les autres de 8 syllabes. xMAXUSCRIT — EDITIONS V (L/7/. franc, an moyen dge, § 134 ; cf. Esqnisse, § 156), sans justifier cette date qui ne nous paraît pas particulièrement indiquée. Le Garçon et V Aveugle nous est parvenu dans une seule copie : il est transcrit sur les deus derniers feuillets (pages 242 ^-245) du manuscrit franc. 24366 (anc. Notre-Dame 275) de la Bibl. natio- nale, à la suite du Roman d' Alexandre et de la Vengeance de la mort d'Alexandre de Gui de Cambrai. Ce ms. est d'origine picarde ; récriture appartient à la seconde moitié du xiiie siècle. Malgré des erreurs certaines, cette copie n'est pas mauvaise ; du moins elle ne présente pas, comme on a pu le croire, de lacune apparente. Seuls quelques vers de la p. 24 5 sont de lecture difficile par suite de l'usure du parchemin. Au xv^ siècle, un lecteur ou un adaptateur a essayé de rectifier les indications d'interlocuteurs et tenté quelques menues corrections. En 1865, Paul Meyer a publié ce texte sous le titre : Du Garçon et de V Aveugle^ saynète du Xllh siècle, au tome VI, fasc. 2, du Jabrhuch fiïr romanische und englische Literatur, pp. 163-72, avec une brève notice et quelques notes critiques et explicatives. Notre édition est fondée sur une nouvelle lecture du manuscrit % qui a permis de rectifier un certain nombre de leçons et de déchif- frer la partie endommagée de la p. 245. Nous avons mis à profit, outre l'édition P. Meyer, quelques corrections inscrites par Gaston Paris en marge de son exemplaire du Jahrlmch conservé à la Biblio- thèque Gaston Paris (Sorbonne). Les notes critiques indiquent sur quels points notre texte diflfère de celui du manuscrit et donnent au besoin les raisons de nos cor- rections. La correction la plus importante, le déplacement de trois vers (104-6 du ms., devenus 1 16-18 de notre édition), se justifie par I. Notre première édition a paru en 1911 ; pour celle-ci nous avons fait une nouvelle collation du ms. qui n'a donné lieu qu'à des modifications graphiques peu importantes (maintien de .v final) ou peu certaines (v. notes à 29, 190 et 257). \3S3 VI VERSIFICATION — LANGUE l'cxamcn de la versification. La pièce est écrite, à l'exception des trois strophes de la chanson, en couplets de deus octosyllabes à rimes plates, répartis de manière que toute réplique de plus d'un vers, c'est-à-dire la très grande majorité, commence avec un second vers de couplet et finisse par un premier vers. Cet usage connu '■ devait aider la mémoire des acteurs ; il est ici étendu même aus strophes chantées, dont le premier vers rime avec la fin de la réplique précédente et le dernier avec le début de la réplique qui suit. Il n'y a d'exception (outre le passage indiqué ci-dessus et que nous corrigeons) qu'ans v. 150-51 et 231-32, c'est-à-dire aus changements de scène, où l'action suppose un silence marqué (d. V. 158) ou au moins un arrêt net du dialogue. Nous n'avons pas régularisé la graphie du manuscrit dont les variations mêmes sont intéressantes, et nous ne l'avons modifiée que là où elle altérait gravement la rime, le rythme ou le sens. Les particularités graphiques ou morphologiques les plus utiles à con- naître pour l'intelligence du texte sont les suivantes : alternance de au, eu, ou, 0 (yaurroie 207, vorroîe 186, trau 91, aus 175, iaus 264, etc.), — échange dans quelques cas de /et //, r et rr, s et ss (yeull 26, etc.^ veul 246 ; guerres 20, demoura (fut.) 240 ; aaisseroie 108, puisson 174), — alternance de c, k et q(^ii), de c et ch, — absence de :(, la copie ne connaît que s, — / final non fran- cien (^«^72, ttc, jolit 130); alternance à la finale de x et us (biax 51, biaus 39, etc., chiax 7, ciaus 63, etc.) ; dans les pronoms : alternance de formes toniques et atones au cas sujet Qe et jou 151 var., te 42, 179, et tu 193, etc.), de tex 165, 184, et tes 262, cf. 183 var, ; — dans les verbes : chute de -s et -^ devant la consonne initiale d'un enclitique (yeuilUê me 21, a tende me 145, laissié m'eut 21^ ; es ce 22, seroi che 28), — alternance de formes en -c-Ç-ch-) et -/- (jneche 3, mete 7 ; peuc 176, ot=^oc, oi 11), — des désinences de conditionnel -iemes et -iens (porriemes 97, sauriens 132), — de -nr- et -rr-(venroit, 152, etc., converroit m). Nous avons réuni dans le glossaire les noms propres et les mots dont la forme ou le sens peuvent faire difficulté ; nous y avons I. Cf. Ro)nania, XXIII, 33. BIBLIOGRAPHIE VII j oint des éclaircissements pour quelques expressions obscures. Nous n'avons pu donner une solution à tous les problèmes que pose ce petit texte, nous espérons du moins avoir un peu réduit le nombre des points douteus, en partie grâce à d'obligeantes communi- cations de M. Hocquet, archiviste de la ville de Tournai, et du regretté A. Guesnon. Outre les ouvrages cités ci-dessus et les diverses études sur le théâtre au moyen âge (dont les indications pour notre pièce ne sont pas toujours exactes) l'on pourra consulter, sur le thème du Garçon et de r Aveugle : Henri Chardon, Farce de l'aveugle et de son valet tort, composéepar viaisire François Briand..., Paris, 1903, p. 9-10 et notes ; — Foulché- Delbosc^ Remarques sur La^arille de Formes {Revue hispanique, VII, p. 93-4), avec deus planches représentant, d'après un ms. de Londres signalé par M. J.-J. Jusserand, des scènes d'aveugle et de valet ; — Gustave Cohen, La scène de Vaveugle et de son valet dans h théâtre français du moyen âge (Romania, XLI, 191 2, pp. 346-72). DU GARÇON ET DE L'AVEULE LI AVEULES Faites nous bien, seingnor baron, que Diex li fins Marie vous mèche tous en sa maison et en sa compaignie ! 4 Veoir ne vous puis mie ; pour moi vous voie Jésus Cris, et tous chiax mete en paradis ki me feront aïe ! ^ A ! mère Dieu, sainte Marie, souveraine, quele eure est il ? Je n'ot nului ; trop me tieng vill que je n'ai au mains un garchon 12 qui me remenast en maison : car, s'il ne savoit bien canter, si saroit il dou pain roaver et moi mener as grans osteus. 16 OR PAROLE LI GARÇONS à part E ! las, con je sui disiteus ! il aperçoit l'aveugle Il ne me faut plus nule rien. OR PAROLE LI GARÇONS à Faveugle Sire, vous n'aies mie bien : Le Garçon et VAveuslc. 2 DU GARÇON ET DE L AVEULE VOUS querrés ja en cest celicr. 20 OR PAROLE LI AVEULES A ! mère Dieu, veuillié me aidier ! Kî es ce qui si bien m'avoie? OR PAROLE LI GARÇOXS Preudons, se Jhesus me doint joie, . cou est uns povres triquemers. 24 OR PAROLE LI AVEULES Pour Dieu, je croi qu'il soit moût bers. Viengne avant ! a lui veull parler. OR PAROLE LI GARÇONS Ves me chi. LI AVEULES Te veus tu louer ? Lî GARÇONS Sire, a quoi seroi che faire ? 28 LI AVEULES Pour mi pourmener sans mesfaire aval la cité de Tournay : tu prieras, je canterai ; s'arons assés argent et pain. 32 LI GARÇONS Hé ! par la panche saint Gillain, bien me cuidiés ore foubert ; mais je vous di bien en apert k'un escuçon le jour aray 36 de tant k'avoeques vous iray, et si n'en lairai nule cose. V. 20 — 6o 5 LI AVEULES Biaus dous amis, car ne me chose ! Coument t'apel'on ? LI GARÇONS Jehannet. 40 LI AVEULES Jehannet, tes cors ait dehait, se te ne Taras volentiers : se de mon mestier es maniers, grans riches hom en devenras. 44 LI GARÇONS Alons ! je ne m'esmaie pas d'estre grans maistres temprement : je prierai Diex griés tourment envoit tous chiax k'au povre aveule 4& feront nés une bone seule, car il Tc^roient bien perdu. LI AVEULES Biax dous Jehanet, que dis tu ? tu me fais au cuertrop grant ire 52 LI GARÇONS Ne vous en caille, biaus dous sire : c'est pour ces vilains décevoir. Gantés, je vous aiderai voir, et cascuns dou pain nous donra. 56 OR GANTENT ENSANLE Mère Dieu, qui vous servira, joie a toute sa vie ; moût bon guerredon en ara, car en vo compaignie 60 DU GARÇON ET DE L AVEULE sera^ dame jolie. Pour tous mes bienfaiteurs vous proi et pour ciaus qui le fill le roi servant sans vilonie. 64 OR LI GARÇONS Hé ! pour Dieu, ne nous falés mie que vous dou pain ne nous donnés ! à Vavengle Sire, un petit chi m'atendés : rouver vois a cel grant ostel. 6S LI GARÇONS Seignor, pour Dieu l'esperitel, faites un povre aveule bien. LI GARÇONS à Vaveugh Sire, ne puis avoir nul rien ; alons ent; que Diex lor doint honte ! 72 LI AVEU LES 11 n'ont que donner. Or me conte, Hanet, se nus t'i respondi. LI GARÇONS Nenil, sire ; mais j'atendi qu'il eskingnoient malcment. 76 LI AVEULES Jehanet, par anuiement eusses eût que que soit. LI GARÇONS Sire, Jhesus Cris n'i aroit, car je sui maistres dou mestier ; 80 V. 6i — 107 3 cantés, nous aroiis a mangier, car par parler les vainterai. OR GANTENT ENDOI ENSAMBLE Dou roy de Sesile diray, que Diex soit en s'aie ! S4 qui cascun jour est en asay contre la gent haïe. Or a chevalerie remandee par tout le mont : 88 tout cil qui nule cose n'ont iront a ost banie. LI GARÇONS Hé ! par le trau sainte Souffie, sire, se de nient poons vivre, 92 nous serons anquenuit tout ivre : voies con cascuns nous aporte ! Par le cul bieu, ne huis ne porte ne vi encore anuit ouvrir; 96 chi porriemes de faim morir ains que nus riens nous aportast. Par le foi que je doi saint Vast, ja mais ne quier mener aveule. 100 LI AVEULES N'avient une aventure seule, Hanot, foi que je doi tes kennes ; a un cop ne kiet pas li caisnes. Se je ja mais pain ne rouvoie, 104 joliement me maintenroie, tant ai je deniers assamblés. LI GARÇONS Moût maisement me resamblés, DU GARÇON' ET DE L AVEULE sire, que se deniers avoie, io8 moi et vous en aaisseroie ; ne tant k'il porroient durer ne vous converroit pain rouver, ains seroit vos sans contredit. 112 LI AVEULES Hanet, pour tant que tu as dit partiras a trestout le mien d'or en avant, je te di bien : se nous n'avons riens ore eu 116 nous soumes tresbien pourveù d'avoir a boire et a mengier. LI GARÇONS Sire, se Diex me puist aidier, vous avés droit. Diex, con grant teste 120 menrons ! car je sai bien de geste canter, si vous en déduirai. Et se mestier avés, je arai tantost bêle garce amenée 124 qui n'ara pas pance ridée, mais blance, et tenre le viaire : nus tele ne porroit pourtraire de pourtraiour ne de pincel ; 128 Gillot un escuier si bel n'a si jolit ne si bien fait; et si ara un tel connait k'a escuelloites sauriens ens. 132 LI AVEULES Tu me fais aachier les dens, Hanet; de tel raison laidis. Je ne veull pas que tu me dis V. io8 — 154 7 d'avoir garce, que bêle l'ai ; 136 et, quant je le pourqulerai, tu le me venras estuper c'on li porra tresbien jeter seur les plantes des pies trois des. 140 LI GARÇONS Sire, vilainement parlés ; ne parlés plus si laidement. U AVEULES Nus ne m'ot fors que tu seulment, biax dous Jehannet, ke je sache. 144 LI GARÇONS Sire, atendé me en ceste plache : je vois faire un petit d'orine. LI GARÇONS d'une voix contrefaite Truans, Diex vous doint mal estrine, quant si desordenement parlés ! 148 Mais chierement le comparrés : il frappe l'aveugle tenés pour çou ! LI AVEULES Hannet, or me di se je ai plaie. LI GARÇONS Plaie? mais dont venroit li plaie ? 152 LI AVEULES Orendroit une tele paie me donna orene sai cui. ÙV GARÇON ET DE L AVEULE Ll GARÇONS Pour le kul bieu, j'estoie cnki, et que ne me hucastes vous ? 156 U AVEU LES A ! biax Jehannet, amis dous, se j'eusse un seul mot groucié, il m'eûst lues tel cop lancié qu'il i parust toute ma vie. 160 u GARÇONS Sire, ne vous esmaiés mie : on sane moût bien d'orbes cops. LI AVEULES Voire, Hanet, mais tout li os de la joe forment me duellent. 164 LI GARÇONS Biaus dous sire, de tex cops muèrent aucunes gens ; mais bien garrés, car anquenuit sus loierés de la fiente d'un cras poulain, 168 si vous trouvères demain sain. Je le vous di trestout pour voir, car jadis, sire, grant avoir gaaingnai a, sans plus, garir 172 un enfant ki devoit morir : je li fis une puisson crasse, devant aus mis, ains de plus crasse, ne peuc avoir, s'ai tout laissié. 176 LI AVEULES Par foi, Hanet, Diex t'a aidié V. 155 — 199 9 et t'a a bon port arivé : se sens veus faire, t'as trouvé qui te soustenra le menton. i8o LI GARÇONS Sire, moût très bon valeton me trouvères, seur et séné. à pOrH On ara tel linçuel bué et pendu, qui tex n'estoit mie. 184 LI AVEULES Hanet, je t'amerai ma vie. Je vorroie ore estre en maison : quant tu viens a un grant perron, deus maisons de la siet mes mes. 188 LI GARÇONS Sire, donques maint par dalés Hue qui de Hontevuignies a leseurnon: vers Ruengnies siet li vile dont je parole. 192 LI AVEULES Tu as esté a bonne escole, Hannet ; ja venras a mon mes. LI GARÇONS Sire, je i sui ; or vous souffres, j'ouverrai Fuis : ou siet li clinke ? 196 LI AVEULES Hannet, une fuelle de venke a sor le suell ou elle siet. LI GARÇONS Sire, ens estes. Or ne vous griet, Le Garçon et V Aveugle, 3 U) DU GARÇON ET DE L AVEULE mais faites tost apertement 200 et si me donnés de l'argent, si m'en irai a le viande. LI AVEULES Jehannet, en me bourse grande a il deniers agrant planté ; 204 prent ent tout a ta volenté : se poi en as, prent ent encore. Je vaurroie que ci fust ore m'amïete, trop le désir. 20S LI GARÇONS Biau dou sire, a mon revenir l'amenrai. LI AVEULES Ses ou elle pine ? LI GARÇONS Sire, oïl : c'est une mescine ki fait batre ses angelins ; 212 je l'ai veue aval ces molins piner caillaus et esbourer. Faites tost, laissié m'ent aler, ke li bons vins sera tost hors ; 216 e si metés vo houce fors, car elle est toute desciree ; ves, sire, comme est esclouee la boucle de vostre coroie. 220 LI AVEULES Prent coroie, boucle, et monoie, et bouche : porte tout refaire ; bien sai que tu ne pues meffaire ; mais emploj^'itii "luii-«*g^t 224 ST. MIOHAEL'8 COLL Enp V. 200 — 249 i ï en vin, en pain et en fourment, et s'acate bonne viande, Jehanet, je le te comande, s'amaine m'amie en ta voie. 228 LI GARÇONS Volentiers, se Dix me doint joie ! Je m'en vois, or priés pour mi. LI AVEULES Va t'ent, je te tieng a ami. LI GARÇONS au public Seignor, ai je bien mis a point 232 cel aweule la qui n'a point d'argent ne de houce ausi ? J'en port trestout sans nés un si. Par foi, il cuidoit que je fusse 236 si povres que je riens n'eusse, mais du sien assés humerai et as compaignonsen donrai tant que riens ne m'en demourra. 240 Mais certes ja ne m'avenra que le sien en jour de ma vie en porte que je ne li die ; se ne lui di, j'aie dehait ! 244 à Vaveugle Sire, querés autre vallet. Je ne vous veul mie trahir, je m'aaiserai par loisir dou vostre, et par droite raison : 24«S ne vous ai je bien mené dont? Le Garçon et V Aveugle, 12 DU GARCOX HT DE l'aVKULE Or nés un gré je ne vous sai, certes, de vo argent que j'ai ne de vo houce. Je m'en vois. 2^2 LI AVEULES Ha ! ha ! Diex, con je sui destrois ! Ou est H mors, qui tant demeure ke ne me prent ? Mais ains ceste eurc, certes, demain l'atenderai ; 236 adont bien cent cops li donrai, foi que je doi m'amie Margue. LI GARÇONS Fi de vous ! enne sui je au large ? Je n'aconte un estront a vous. 260 Vous estes fel et envions ; se n'estoit pour tes compaingnons vous arïés ja mil millons, mais pour iaus serés déportés. 264 S'il ne vous siet, si me sivés ! EXPLICIT DU GARÇON ET DE l'aVEULE NOTES CRITiaUES Titre : manque dans lems., rétabli ici d'après Vexplicit. Interlocuteurs : aucune indication dans h ms. ans vers i et 2 "^2 ; indications ajoutées par la deuxième main (XV^ 5.) ans v. 28, 29, 33, 39, 40, 41, 45, 53, 61» 73, 75, 77, 19> ^oi, no, 116, 119, 157, 161, 163, 165, 181, 209, 210, 211,221 : la graphie en est variable, ly aveules, Taveule, ly garch(ons), le garch(on). — Les indications du copiste du XII I^ siècle sont placées tantôt à la suite du premier vers de la réplique, tantôt à la suite du dernier vers de la réplique précé- dente ; dans ce dernier cas le lecteur du XV^ s. les a grattées ou rayées ou a noté d^un trait le déplacement nécessaire ; ces indications primi tives se trouvent à la suite des v. 17, 19, 21, 23, 25, 27^^ 27^, 31, 39, 43, 51, 56, 64, 68, 70, 72, 74, 75, 76, 78, 82, 90, 99, 109, 115, 118, 132, 140, 142, 144, 147, 151, 152, 153, 155, 162, 164, 176, 179, 184, 188, 192, 194, 196, 198, 208, 2IOa, 2I0b, 228, 230, 252, 258 .w7 partir du v. 2^ le copiste ufe des abréviations li a\v', H gâr, li gâ et, à partir du v. 90, li G. Les abréviations ont été développées d'après les indications complètes des premières répliques ; les graphies du copiste ont été introduites là ou les indications manquaient ou avaient été ajoutées par la deuxième main ; les indications erronées aus v. 31 (li a\v'), 39 fli gâ), 61 (2e main : l'aveule), 162 (li valles), 228 (li aw'), 230 (li G) ont été rectifiées ou supprimées, Jeus de scène : le ms. n'en indique pas ; nous avons noté, en italiques, cens qui paraissaient certains et indispensables. Texte : les leçons indiquées ci-dessous et non suivies de sigles sont celles que présente le ms, dans les passages on nous avons cru devoir le corriger ; M indique les lectures ou les corrections de V édition P. Meyer ; P les corrections proposées par G. Paris : les corrections de 14 DU GARÇOX ET DE L AVEULE M OU de P que nous avons introduites dans notre texte ne sont pas reproduites ici, mais la mention « Mcorr. » ou « P corr. », placée à la suite de la leçon fautive du ms., indique Fauteur dont nous avons 4idopté hi correction. i8 riens — 20 qu'erres M — 28 Sire, et a quoi P ; nous n avons pas cru nécessaire de supprimer Vhiatus, cf. 234. — 29 mesfaire plutôt que meffaire [z^e éd.']. — 40-41 Jehannet une seule fois dans le ms. — 52 me mais M — 68 a ces grans osteus — 79 S., J. C. m'avoit, vers trop court, S. que (oti se) J. C. m'avoit M, P corr. — 84 en Faïe M — 88 remandé, M corr. loi II avient une av. s.. Il avient av. s. M, P corr., cf. glossaire, s. V. aventure. — 102 Hannet M — Entre 103 et 104 viennent dans le ms. les V. 1 16-18 (numérotés par conséquent 104-106 dans M qui suit exactement Vordre du ms.), si bien que le dernier de ces vers ne rime avec aucun autre vers immédiatement voisin, et de même le V. 11^, et qu'une réplique de trois vers au milieu du dialogue, la réplique de y aveugle constituée par les v. 11 2- 15 (i 16-18 dans M), se termine avec le second vers d'un couplet, ce qui serait une exception unique au s habitudes de l'auteur {cf» Introduction, p. vi) ; P. Meyer suppose une double lacune d'un vers après 106 (notre iiS) et avant 119, mais il ne semble pas qu'il manque rien au dialogue; il nous a paru plus simple de supposer un déplacement de trois vers, amené peut-être par l'identité du premier mot des v. 104 et 116 et nous avons corrigé en conséquence. — 109 et vous et (le second et est une abréviation barn'e ultérieure- ment) aaisseroie, et vous tôt aa. M — 113 Jehanet — 123-4 je irai... amener, M. corr, — 126 et tenre et le viaire, M corr. — -131 con nait M — 134 Jehanet — 143 M propose fors tu seulement. — 151 Jehannet ; jou ai — 159 cop donné, P corr. — 162 d'erbes cops, P corr. — 163 V., Jehanet mait tout — 177 Jehanet — 179 se sens (corr. en se ce) M — 183 tes hncius bues, tel linciel bué M — 184 pendus — 185 Jehanet — 1^0 Le ms. écrit en deux mots Honte vuignies (plutôt que vingnies [i^^éd.]). — 196 jou verrai Tuis où siet M ; clinkes. 204 a deniers, vers trop court, M corr. — 213 ce molin ; on pourrait corriger veùe a ces molins — 219 vees — 221 L'usure a fait disparaître l'initiale du vers. — 222 ti n'est plus apparent. — NOTES CRITIQUES I5 226 acate, le c est incertain. — 228 si niaine M — 234 ne de sa houce aussi P ; nous avons conservé l'hiatus, c. 28. — 238 h a nierai , u et m sont incertains, — 240 demoura, cf. Introduction, p, vi, M corr. — 243 en parte M — 245 S., tenés vostre v. M — 247 m'aiserai, M corr. — 248 et om. M. -^ 249 vous ai je b. mené dont, vers trop court ; la première lettre de mené est incertaine ; P. corr. — 250 gré n'est pas dans le ms., où il n'y a pas de lacune apparente, nés un jeu... vous sai M, P corr. — 257 cops plutôt que cous [jre éd.], — 259 ou ne M. Le manuscrit écrit en toutes lettres aveule (48 et explicit), pou r (150), vous (3, 4^ etc.), les abréviations qui se rencontrent ailleurs pour ces mots ont été résolues d'à pris ces formes complètes ; pour moût et con, com, isolé ou en composition , le ms. a toujours des abréviations (mit, 9); il écrit .]. ans v. 12, 70, 103, 129, 131, 146, 158, 187, 265, .iij. au. V. 140, .c. au v. 262 ; nous avons partout transcrit ces nombres en toutes lettres. Le lecteur du XV^ siècle a rétabli à diverses reprises Jehanet ou Jehan au lieu de Hanet etc., rayé trau au v. 91, et corrigé aus v. 95 ^/ 155 cul bieu en mort bieu. Les pages et colonnes du ms. commencent aus points suivants : 242 /\ vers I ; 243 a, v. 43 ; 243 b, v. 84 ; 244 a, v. 124; 244 /;, i'. 164 ; 245 a, V. 204; 245 b, V. 243. GLOSSAIRE (râ- lai ne à hm nachier (faire a. les dens) 153, aga- cer les dents. aaisier rt[/î. 247, profiter, jouir de. aconter 260, estimer à la valeur de amïele 208, maîtresse. angelins 212, agnelins, peaus gneau ou laine d'agneau, courte. nnquenuit 95, 167, ce soir. anuiement 77, insistance. apert (en) ^^, franchement. ariver a bon port 178, amener port. asay 85, épreuve. atendre 75 , remarquer. aventure 10 1, cf. Gilles li Muisis, II, 582 ; On dist quant une vient elle ne vient pas seule. bers 25, hrave^ courtois. bone, 49, bienfait^ aumône. bué 183, lessivé, cf. linçuel. caillaus 214, // s'agit ici sans doute r//? coaillaus, c est-à-dire de la laine de médiocre qualité que fournissent la queue et les cuisses du mouton, cf. Godefroy s. v. escouailler, escouailles et Littré s. v. coaille, écouailles. choser 39, disputer avec quelqu'un. clinke 196, clenche, pièce mobile du loquet. comparer 149, payer. connaît 131, connet; cf. dans Gode- froy un autre exemple de ce dimi- nutif. corroie 220, 221, ceinture. cul bieu (par ou pour par le c. Dieu. 'e) 9)^ 155 dalés (par) 189, à .côte de. dehait (avoir) 41, 244, ctre maudit. déporté 264, dispense, privé. desordenement 148, d'une façon in- convenante. L'e de la troisième syl- labe est muet et ne compte pas dans le vers. destrois 255, malheureus. disiteus 17, misérable. dont 249. Ce mot ne sert ici qu'à renforcer V interrogation. enne 259, ne... pas 1 esbourer 214, enlever la bourre de la laine ou les nœuds du drap. esclouee 2i<^, déclouée. escuçon 36, un petit ccu {par jour). escuelloites (a) 132, avec élan, à la course. eskingner 76, se moquer. esmaier réft. 45, s'étonner ; 161, s'inquiéter. estrine (maie) 147, mauvaise fortune. estuper 138, plier le corps en deus ; cf. a. fr. a estupons et fia m. stuipen (Romania, XLI, 608-12). foubert 54, niais, dupe, cf. Courtois d'Arras, 258. GiLLAiN (saint) 33, S. Guilain. GiLLOT 129, (?). Petit -être y a-t-il là une allusion à Gilles de Chin ; les V. 129-30 nous restent obscurs. griet 199, subj. pr. 5 de grever, être désagréable. i8 GLOSSAIRE groucier 158, iiiuniiurer, grogucv guerredoii 59, récompense. Han(n)et 74, 11^ 15.1, 151, 165, 177, 185, 194, 197 ; Hanot 102. HoNTEVUiGNiES 190, saiis doute HoH- iieviiin, au N.O. de Tournai, sur la rive gauche de VEscaut. La dé- formation du nom peut être inten- tionnelle, cf. la note critique à 190. houce 217, 234, 252, houche 222, robe de dessus, longue et ample. Hue de Hontevuignies 190, cf. HoNTEVUlGNIES. humer 258^ boire. Jeha(n)net 40, 41, 51, 77, 144, i;7., 203, 227. kennes 102, joues, mâchoires. laidir i"^^, faire outrage. linçuel i8j, drap. Il y a ici un jeu de mots, peut-être sur pendu ; le garçon dirait en aparté qu'on en a pendu {comme, après la lessive, on pend les draps) qui ne le valaient pas en friponnerie. loisir (par) 247, à l'aise. lues 159, aussitôt. , niaisement 107^ mal, peu. maistre 80^ habile dans un métier ; grans m. 46, personnage d'impor- tance. maniers 43, habile. Marque 258^ diminutif (io, Margue- rite. menton (soustenir le) 180, aider quelqu'un dans la vie. mes 188, 194, demeure. millons 263, millions. molins (aval ces) 213. Il s'agit de moulins à foulons nombreus à Tournai. orbes cops 162, contusions. paie 153, don et, par plaisanterie, coup. partir 114, avoir part. pendu r84, cf. linçuel. piner 210, 214, peigner la laine. La rue des Piniers était à Tournai parallèle à la rue des Aveugles et très voisine. Pour les autres allusions à la draperie contenues dans ce pas- sage, cf. angelins, caillaus, esbou- rer, molins ; l'on peut penser que ces allusions se doublent d'équivoques grossières. point (mettre a) 232, arranger, ma- ter, régler le compte de quelqu'un. porriemes 97, cond. 4 de pooir. pourquler 137, renverser, pourtraiour 128, ce qui sert à dessiner. puisson 174, potion. Nous ne pouvons expliquer les v. 174-6. querrés 20, ////. j de keoir, cbeoir. rouver 15, 68, 104, m, deinander. Ruengnies 191, peut-être Rame- gnieS'Chin, au N. de Tournai, sur la rive gauche de l'Escaut. saner 162, guérir. sauriens 132, cond. 4 de saillir, sens (faire) 179, bien agir. SESiLE(roy de) 83, Charles d'Anjou, frère de S. Louis, cf. Introduction, p. III. si (sans nés un) 225, sans restriction. SouFFiE (sainte) 91, 5. Sophie. temprement 46, bientôt. tes 262, tels. Tournât 30. triquemers 24, pauvre diable (?). valeton 181, jeune serviteur. Vast (saint) 99. venke (fuelle de) 197, pied de per- venche. viaire 116, visage. viande 202, 226, provisions de bouche. vilonie (sans) 64, loyalement. volentiers 42, facilement. Abbevillc, imprimerie F. Pailla rt. o 03 o on FI I THE INSTlTUfE OF MEDIAEVAL STUDIES 69 QUEEN'S PARK CRESCENT TORONTO ^ 6, CANADA q 9 / G- I ■■liill 19 20 21 22 ^3 25 26 — La Chanson d'Aspremont, chanson de geste du xiie siècle* texte du manuscrit de Wollaton Hall, éd. par Louis Brandin ; t. I, vv 1-6154 ; IV-196 pages. 5 tr. .85 — Gautier d'Aupais, poème courtois du xiiie siècle, éd. par Edmond Faral ; x-32 pages. ... i fr. 95 — Petite Syntaxe de l'ancien français, par Lucien Pou- let ; x-287 pages 9 fr. 10 — Le Couronnement de Louis, chanson de geste du xiie siècle, éd. par Ernest Langlois ; xviii-169 pages 6 fr. » — Chansons satiriques et bachiques, éd. par A. Jeanroy et A. LÂNGFORS ; xiv-145 pages. — Les Chansons de Conon de Béthune, éd. Wallenskôld ; xxiii-39 pages — La Chanson d'Aspremont, éd. par Louis t. II, vv. 6155-1 nyé, 11-216 pages. -— PiRAMUS ET TiSBÉ, poème du xii^ siècle, éd. Boer; XII- 5 5 pages 7 fr- 50 par Axel 3 fr. » Brandin ; 10 fr. » par C. de 3 Ir. » PREMIÈRE SERIE : TEXTES Français. X/e siècle. XII^ siècle. 4. 12. — 14. — 19. — 22. — . 24. XII I^ siècle. — 1 . ■> — 5. — 6. — 7- — 8. 10. 13- 20. 23. 2. 9- II. 17- XV^ siècle. Provençal, X/e siècle. XI I^ siècle, XII I^ siècle. La Vie de saint Alexis. Béroul, Le Roman de Tristan. Gormont et Isembart. La Chanson d'AsprExMont, t. I. Le Couronnement de Louis. Les Chansons de Conon de Béthune. La Chastelaine de.Vergi. ^ . Courtois d'Arras. Le Garçon et l'Aveugll, Adam le Bossu, Le Jeu de la Feuillée. Les Chansons de Colin Muset. Huon le Roi, Le Vair Palefroi. Huon de Cambrai et Guillaume, La Mâle Honte. Philippe de Novare, Mémoires. Huon le Roi de Cambrai, Œuvres. Gautier d'Aupais. Chansons satiriques et BACHiauEs. François Villon, Œuvres. Les Chansons de Guillaume IX. Les Poésies de Peire Vidal. Les Chansons de Jaufré Rudel. Bertran de Marseille, La Vie de Sainte Enimie. DEUXIÈME SÉRIE : MANUELS Bibliographie. — 16. Chansonniers provençaux. — 18. Chansonniers français. Grammaire. — 21. Syntaxe de l'ancien français. ABDEVILLB. iMPRiMBWE F. PAIU.ART.